Ce n’est pas nouveau de dire que le groupe Renault galère depuis plusieurs années à être rentable. Mais jusqu’ici, c’était tenable. Visiblement, la crise du Corona Virus a accéléré les choses, mais dans les faits, Renault n’était pas dans une bonne position.
Cette semaine, l’Alliance dévoilera le programme des années à venir pour tenter de perdurer dans le domaine automobile. On entend déjà des rumeurs concernant Renault, tandis que chez Nissan, certaines choses semblent déjà confirmés. Comme notamment l’arrêt des modèles plaisirs en Europe, ou encore l’arrêt de Datsun, qui se positionnait en tant qu’entrée de gamme en Inde, notamment.
Concernant Renault ? Des rumeurs comme des confirmations sont lancées, mais il faudra attendre vendredi pour en avoir le cœur net. Sur Autolyse, je vous partagerai ce qu’il s’est dit lors des conférences de presse de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. En attendant, on va voir comment Renault est arrivé à cet état. Et ce, en profondeur.
La politique de Carlos Ghosn
D’avis général, on pense que Carlos Ghosn est celui qui a permis à Renault de briller pendant des années, et ce malgré les travers qu’on lui connait. Pourtant, c’est à cause de lui et sa politique dite de « Killer Cost » que Renault en est là aujourd’hui. En effet, sa politique, qui a pourtant marché sur le court terme, s’est retournée contre lui au fil des années. Passé 15 années, cette technique de réduire les coûts le plus possible ne pouvait qu’être vouée à l’échec. Car à force de vouloir réduire les coûts, on finit par réduire les marges et, surtout, à sortir des modèles de moins en moins fiables.
Avant l’arrivé de Carlos Ghosn, on avait, lors des années 2000, la Twingo, la Clio 2, la Scenic 2, la Laguna 2 et la Megane 2 qui ont eu un énorme succès jamais inégalé aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’on avait, au sein de ces voitures (surtout les familiales) des technologies très avancées pour l’époque, et de série. On avait notamment la carte mains-libres, les essuies glaces automatique, l’allumage automatique des feux, l’ordinateur de bord etc…
Le « Cost Killing » a fini par tuer les profits de l’Alliance
Depuis que Carlos Ghosn est arrivé, il n’y a eu aucune innovation. Il a bien sûr misé sur l’électrique avec la Renault Zoé, mais comme les volumes de ventes n’étaient pas fameux, il n’y a rien eu depuis 10 ans. Renault aurait pu être le premier constructeur à proposer 700 kilomètres d’autonomie en 2020, avec le temps. Surtout, ils auraient pu proposer l’hybridation rechargeable sur la Renault Talisman dès 2015, par exemple, et le modèle se serait largement plus vendu qu’en l’état actuel.
C’est dommage pour le groupe, mais cette politique de Cost Killing n’a pas été la bonne du tout. On se retrouve avec des modèles qui connaissent encore et toujours des problèmes d’électronique. Quand ça arrive sur une Clio, on se dit que ça passe. Et ce d’autant plus si tu la payes en LOA. Mais sur une Renault Espace ou Talisman à 40 000€, c’est différent. On ne met pas autant d’argent pour se retrouver avec des problèmes d’électronique qui gâchent l’expérience du conducteur. C’est pour ça que ces modèles sont systématiquement bradés, même s’ils sont fiabilisés depuis. Renault paye les erreurs du passé. Elle a perdu de la crédibilité sur le haut de gamme à cause de ça aussi.
Renault construit de moins en moins en France
Dans un pays comme la France, ou on mise beaucoup sur le Made In France (surtout quand l’entreprise est française), il est inconcevable de la part de Renault de délocaliser de plus en plus ses productions. A titre d’exemple, la Renault Mégane et le Renault Kadjar sont produits en Espagne, alors que chez Peugeot, la 308 et le 3008 sont produits en France. De même, le Koleos est produit en Corée du Nord alors que le 5008 est produit en France.
On ne parle pas d’une Renault Clio ou Captur (dont la première n’est plus du tout produite en France) produite à l’étranger afin de réduire les coûts. On parle, dans le cas des Megane, Kadjar et Koleos, de modèles plus onéreux dont la concurrence est produite en France. Pour beaucoup de clients français, le lieu de production est important. Je suis désolé, mais une marque française qui produit très massivement à l’étranger est d’un ridicule. Ça ne donne pas une bonne image de l’entreprise. Quand on sait que chez Peugeot, seule la 208 et le 2008 sont produites hors de la France. Chez Renault, les seules modèles produits encore ici vont être arrêtés !
L’Union Européenne n’aide pas énormément, il faut le dire
Peu de sites mettent ça en avant, mais les normes européennes n’aident pas vraiment le constructeurs à s’en sortir. Tout à coup, on se rend compte qu’une voiture qui sort 183 grammes de CO²/km, ce n’est pas bien. Ainsi, chaque année, l’Union Européenne diminue la moyenne de CO²/km que chaque constructeur doit payer, sinon ils payent de lourdes amendes.
Grâce à ça, tous les constructeurs se mettent à l’hybridation légère afin de gagner 2 grammes de CO² au kilomètre, mais cela n’arrange pas le consommateur final, puisqu’il consommera un peu plus. Et oui, même une batterie de 48 volts, ça pèse un peu. Et ne parlons pas de l’hybridation rechargeable. Même si, pour ma part, c’est une meilleure idée que l’électrique, il faut quand même penser à charger la batterie sans cesse. Va transporter 2 tonnes et demi avec un petit moteur, pas prévu pour ça. La fiabilité en prend un coup.
Même FCA est allé plus loin en achetant des crédits de CO² à Tesla. Elle achète le droit de polluer, en somme, mais elle n’avait pas le choix car l’amende qu’elle aurait eu à payer, dans le cas contraire; ne lui aurait pas permis d’investir dans l’électrique. D’ailleurs, ils fusionnent avec PSA afin de contenir les investissements. Autrement, ils auraient dû compter de nouveau sur Tesla. Tout ça pour dire que l’Union Européenne décide des lois sans prendre en compte la réalité du terrain, et c’est bien dommage. Au moins laisser plus de temps aux constructeurs de se préparer à l’électrique.
Des modèles ne peuvent pas être vendus à cause de la taxe écologique
Tout cet aparté pour dire que chez Renault, comme chez l’Alliance en générale, certains modèles se vendent moins à cause des normes européennes. Encore, Renault fait en sorte de respecter ces normes. Mais Nissan, qui vend au niveau mondial, ne peut pas forcément faire au cas par cas.
Ainsi, on tombe sur des hérésies comme une 370z neuve qui coûte que 22 000€. Donc une voiture potentiellement accessible pour la plupart des jeunes avec un CDI, dès 22 ans. Certains pourraient même la payer cash. Mais avec une taxe écologique de mise en circulation de 20 000€, soit 90% du prix de la voiture dans une taxe, ils prendront autre chose. Cette taxe écologique est clairement en train de tuer le paysage automobile. Elle devient ridiculement élevé, et même si elle peut être contournée, c’est pesant tout de même.
Chez Renault, c’est pareil avec la Mégane 4 RS, et la Clio 5 RS n’a pas vu le jour uniquement à cause de ça ! Et au fond, tout le monde le sait. Payer la voiture 30 000€ ne te dérange pas si elle te plait vraiment. Mais payer derrière 20 000€ de taxe comme ça ? Autant prendre autre chose. Et même si tu peux échelonner la taxe en la payant annuellement, c’est pesant de devoir sortir de grosses sommes chaque fin d’année. Ton treizième mois qui part dans une taxe écologique ? Je doute que tu apprécies ce cadeau…
Trop de modèles au sein de l’Alliance
Maintenant, on va parler d’un problème de logistique, et qui explique pourquoi l’Alliance ne s’en sort pas. En résumé, on a l’impression que Nissan et Renault s’entraident mais sont quand même en concurrence. Par exemple, quand Nissan a sorti la Qashqai en 2007 puis la Juke en 2010, pourquoi Renault s’est senti obligé de sortir le Captur en 2013 et – surtout – le Kadjar, en 2015 ? Ce dernier n’étant qu’un Qashqai carrossé différemment. Au lieu de proposer des synergies (tel marque propose tel catégorie et ainsi de suite), chaque marque de l’Alliance se marchent dessus.
Et le pire, c’est la gamme de Renault. Pourquoi avoir sorti le Koleos ? Le modèle ne sert strictement à rien. Et au pire, il y avait déjà le X-Trail chez Nissan. D’ailleurs, le Koleos en est dérivé… Pareil pour le Renault Alaskan, quel était son intérêt ? Ils pensaient le vendre à qui ? Et là encore, c’est un dérivé du Navara qui, lui, marche. D’ailleurs, le Navara était moins cher que l’Alaskan. Encore une hérésie.
Trop de modèles chez Renault également
Et ne parlons pas de la Renault Espace qui a voulu s’embourgeoiser, à tel point qu’on ne sait plus à qui elle s’adresse. Pareil pour le Scenic, la troisième génération était simple et connaissait le succès. Pourquoi tout avoir changé pour la génération suivante ? Le pire, c’est que le Grand Scenic et l’Espace sont quasiment pareils. Aucune différenciation. Parfois, quand on voit une Scenic récente passer, on croit qu’il s’agit d’une Espace. Et inversement, d’ailleurs !
Les seules Renault qui fallait garder étaient la Zoé, puisque c’est la première électrique du groupe, la Twingo pour la ville, la Clio et la Mégane. Tout le reste était inutile. Il suffisait de mettre l’accent sur la Juke au lieu du Captur. D’ailleurs, le manque de stratégie s’est retourné contre eux, puisque la seconde génération de la Nissan Juke ne marche pas autant que la première. Oui, la concurrence s’est intensifié, mais au niveau interne également avec la Captur. Après, vu le grand succès de ce dernier, ça aurait été bête de la part de Renault de ne rien proposer, c’est vrai.
Renault va-t-il couler ?
Malgré toutes ces raisons et la santé financière de Renault, au plus bas, l’entreprise ne coulera pas. Déjà parce que même si l’Etat Français reste évasif sur le sujet, elle prêtera les 5 milliards d’euros à Renault. L’Etat n’a pas le choix de toute façon. Car derrière Renault, il y a aussi des milliers de sous traitants. En temps normal, certains se cassent déjà la gueule. Alors si Renault tombe, ce sera l’effet domino. Et ne parlons pas des emplois en France. On compterait au moins 500 000 salariés sur le carreau, ce qui serait dévastateur pour le pays.
On ne parle pas d’un cas où seule une petite marque adossé à un groupe disparaîtrait. Ce n’est pas dramatique en somme. Mais quand il s’agit d’un grand groupe, c’est différent. La France va vraiment pâtir de la disparition de Renault.
C’est pour ça que l’Etat n’a pas d’autre choix que de venir à la rescousse. Si Renault coule, il entraînera par effet boule de neige tout le pays avec lui. Et même des années après, car les investisseurs deviendront méfiants vis à vis des placements en France si une si grosse société coule. L’Etat interviendra de toute façon, même si Renault dise qu’ils fermeront toutes les usines en France. Soit ils font un prêt de 5 milliards d’euros, soit ils passeront ailleurs (chômage des salariés qui auront perdu l’emploi – et y en aura largement) et, cette fois, ce ne sera pas un prêt.